Automne 1915
On aurait annoncé dans les journaux que la lutte au front
s'intensifiait. Certaines nuits, alors que le vent aurait soufflé de
l'est, dans le silence de la nuit de Paris, pendant que j'aurais épié
cette quiétude inquiète, j'aurais pu croire entendre très assourdi le
bruit du canon, l'éclat de bombe. On aurait su qu'un jour la ville
serait sous les tirs ennemis, que la fête triste et oublieuse, par
instants, serait gâchée par un obus. J'aurais marché dans la nuit pour
respirer. Dans l'atmosphère bizarre de calme qui savait que la mort
sévissait à quelques pas, j'aurais tenté d'écrire. Il m'aurait fallu
m'évader par instants de mon bureau. La mort m'aurait épargné et je
serai revenu à Paris. Nous aurions été plusieurs à errer ainsi, ne
pouvant servir qu'à ce rôle qui fut dévolu aux temps des Invasions aux
moines lettrés. Pendant que l'orage des armes se serait acharné sans
s'exaspérer, on aurait composé ou écrit, mais en allant chercher dans
l'ombre d'une porte, dans une chambre louée, la tendresse qui aurait
semblé avoir déserté le pays; étrange vie que l'attente du feu ou de la
paix, qui se serait égarée dans les rues sombres de Paris.
Je cueille une dernière rose dans l'automne.