Un presbytère derrière les paupières
Mon enfance et ma jeunesse furent faites de cent vies; je souffrais alors de la maladie d'être fils unique. Elles furent solitaires et accompagnées dans des rêveries et dans des livres. Elles sont de celles d'où souvent naissent des poèmes, après les romances de chevalerie et les épopées, lorsque l'on comble les silences avec des mots allongés sur un papier. Ce temps d'avant manquait de ma musique d'aujourd'hui: j'eusse aimé si Stuart et Neil vinssent se pencher au-dessus de mon épaule d'adolescent.
Il y avait le jardin, ses roses et son tilleul, sa pelouse et ses pommiers. Les balades se limitaient à le parcourir, parce que je voulais prendre des airs de convalescent. Parfois, j'espérais que, lorsque je me retournerais, la maison aurait laissé la place à une demeure seigneuriale où m'attendait une nurse ou un chambellan, perdue dans un creux d'Angleterre ou dans une plaine de l'Est. Je m'enfermais dans le salon, avec un livre. J'installais une table sous l'acacia ou je surplombais le domaine à la fenêtre du grenier, pour écrire mes vers. Une jeune fille venait me prendre la main dans mes rêveries. Nous racontions nos secrets.
Aujourd'hui, je porte encore les airs de convalescent en moi; parfois, j'aimerais avoir besoin de reposer une fatigue provisoire: j'ai maintenant les chansons qui me manquaient dans la tête. J'en écrirais de nouvelles, avec leurs paroles douces. Quand j'ouvre la fenêtre de ma chambre, au presbytère, j'ai enfin le décor que je cherchais; une verdure presque urbaine, qui se décompose en traits; de lourdes branches de sapins pendantes sont de part en part traversées par d'autres arbres plus graciles, qui montent jusqu'à moi, presque vers le ciel.